PORTFOLIOS 124 Des images pour mieux voir / Seeing through images
PORTFOLIOS 124 Des images pour mieux voir / Seeing through images
Une apparition presque spontanée de la machine dans le monde
Un entretien de Jacques Doyon
À l’occasion de l’importante exposition de Nicolas Baier tenue au début de 2023 à Montréal[1], nous nous sommes entretenu avec l’artiste pour en explorer les lignes de force.
Jacques Doyon : Il semble approprié de commencer par la vidéo intitulée Vases communicants, l’un des points forts de l’exposition, si ce n’est son point d’ancrage, et dont le titre est repris pour coiffer l’ensemble de l’exposition. Elle met en scène de grands ateliers-bureaux aux surfaces miroitantes (sur le modèle de ceux que tu as déjà réalisés en trois dimensions) envahis progressivement par une nature luxuriante et menaçante. Nous nous retrouvons dans un véritable maelstrom de matières naturelles ou fabriquées, aux allures à la fois réalistes et irréelles, comme si nous étions emportés dans une espèce de magma. Peux-tu nous parler un peu plus en détail de cette œuvre, de ce qu’elle donne à voir et de son mode de production, de l’opposition et de la fusion qu’elle effectue entre le construit et le naturel, le réel et le virtuel ? Allégorie d’une catastrophe annoncée ou, au contraire, grand amas de particules en percolation ?
Nicolas Baier : Il n’y est pourtant pas question d’envahissement de la « nature ». Elle ne fait qu’exister : je la montre.
L’effet remarqué est sans doute dû au montage en parallèle de ces deux scènes, intérieures et extérieures. Je ne veux surtout pas parler de la nature qui reprendrait ses droits. Même dans les images tirées de la vidéo, je vois plutôt cette cohabitation comme une équivalence, comme deux formes a priori disparates affichant le même poids, chacun sur l’un des deux plateaux d’une même balance. J’aime y voir un clin d’œil à l’allégorie de la caverne, de Platon.
Dans la vidéo, le soleil, qui fouette les surfaces miroitantes des murs et de chaque chose (on ne voit pas l’étoile directement, mais son reflet), est un rappel du jeu d’ombres et lumière qui s’opère dans la grotte. Aussi, si on pense aux peintures rupestres de notre préhistoire, la caverne a été en quelque sorte le premier atelier. J’ai volontairement pris soin d’insérer et de mettre en valeur les quatre éléments, le feu, l’air, la terre et l’eau.
Avec le temps, je me rends compte que l’utilisation récurrente de l’atelier, dans mon travail, se rapproche de celle d’un réalisateur de cinéma avec son acteur fétiche. L’atelier, en ce qui me concerne, est une icône. Il est le lieu où les idées se manifestent, où la recherche s’opère et où cette mixture sensée, mais informelle, se révèle et se concrétise. En ce sens, c’est un espace emblématique, presque mythique. L’atelier est le poste de commande absolu, tout s’y niche, chaque décision, chaque tentative, chaque réflexion, tant et si bien qu’avec le temps il est facile d’être bluffé et de croire que tout y naît, que tout s’y passe, que c’est une extension de l’esprit. À dire vrai, cette perception est largement exagérée. À l’évidence, seulement quelques questions, quelques thèmes choisis ici et là y sont filtrés, avec les moyens du bord, dans un effort qui ressemble souvent plus au bricolage qu’à une discipline sérieuse. J’ai l’impression que nous ne captons que les reflets des choses, que la trace, que les ombres, et que l’essence nous échappe, constamment. C’est la raison pour laquelle j’utilise le miroir dans cette vidéo. Il me permet de souligner ce constat.
Avec les miroirs, le regard est sous tension, biaisé, et il ne peut se reposer, s’arrêter à un point d’arrivée. Il n’y a plus de halte. Il fait sans cesse ricochet sur les limites, sur les parois des choses, pour mieux aller rebondir sur d’autres flancs, partout où il se porte, dans un va-et-vient constant, une mise en abyme perpétuelle. Notre compréhension de l’aire et de l’entité du lieu ainsi resurfacé est flouée par l’incessant jeu de reflets qui émanent de chaque plan.
L’atelier, par définition, est un espace de réflexion, où l’on pense le concret, où l’on pointe et focalise notre attention sur une parcelle choisie de la réalité. L’atelier est donc un miroir : du réel, de ce qui se passe, de l’« il y a ». Au jour le jour, c’est vrai que je m’y sens aussi souvent enchaîné, emprisonné, et que ma compréhension de ce qui m’entoure est complètement teintée de cet espace. Comme avec le miroir et la caverne, il y a ce jeu de captation et de projection, qui s’y opère chaque jour.
Malgré cela, le monde des idées est omniprésent et, comme dans l’allégorie de Platon, il est surtout ailleurs, à l’extérieur, partout ailleurs. Dans la vidéo, j’ai choisi la forêt pour évoquer l’ensemble incommensurable de ce qui existe. Elle me semble être un choix logique. C’est une bonne représentante de l’idée assez commune, répandue, de la nature (et de toutes ses possibilités). Celle-ci est inclusive, elle englobe tout, rien ne lui échappe, terres, eaux, éléments, chair, pensées, planètes, étoiles, cosmos, machines. La forêt est aussi probablement notre premier habitat, notre maison originelle. On dit que nous sommes descendus des arbres… S’il y a un lieu sur terre qui nous est associé, intrinsèquement, depuis nos balbutiements, c’est bien cette étendue boisée.
Je voulais juxtaposer ces deux mondes, la réalité, le monde des possibilités, notre genèse aussi (représentée par cette forêt), et un lieu pour y réfléchir, presque hors du monde, équipé des dernières technologies, de machines et de robots (l’atelier). Alors qu’on pense souvent à un affrontement entre la nature et la technologie, je n’arrive qu’à y voir une histoire, un prolongement de l’un par l’autre. Ces deux espaces (ils pourraient être le même lieu géographique, seulement séparés par de nombreuses années) se réfléchissent et se répondent à travers le temps. L’un est une terre « vierge » où l’humain est tenu de trouver ses repères et doit lutter pour survivre, l’autre est un espace où tout, sans exception, a été créé, produit par l’humain, pour ses besoins.
La trame sonore contribue à ce que cette juxtaposition devienne superposition. On ne sait plus trop ce qu’on entend, est-ce la pluie, les gouttes d’eau qui heurtent les feuilles des plantes, ou des doigts qui tapent sur des claviers ? C’est le tonnerre ou une machine qui gronde ? Dans les faits, la bande-son est une mixture entre plusieurs captations in situ (dans la jungle, aux abords de ruisseaux ou de rivières, dans des champs, des forêts, à l’atelier, avec toutes les machines), et un travail de bruitage, assez traditionnel, où tout est dans le leurre et le faux-semblant, afin de mieux mélanger les pistes et brouiller les indices.
Je n’ai pas voulu cette forêt menaçante. Sous la majorité des canopées, quand leur végétation est dense, la plupart du temps, même en plein jour, il fait assez sombre. La vidéo est imprégnée de cette luminosité bien particulière, entre chien et loup, l’heure bleue, où le jour se confond avec la nuit et où la vision est plus indistincte. La fin montre le reflet d’un ciel étoilé, après un long travelling avant, sur une table de travail. La table est dans une clairière de la forêt. C’est un peu le monolithe de Kubrick. C’était une façon d’ouvrir le dénouement sur le champ des possibles. La table, à l’atelier, c’est généralement l’endroit où tout se concrétise, où les idées prennent corps, après de multiples étapes de confection.
Le film est entièrement dessiné (généré) et non filmé (saisi). Ce n’était pas une solution simple. L’inventaire des objets qu’il y avait à modeler semblait infini. Je ne voulais pas pointer, je voulais suggérer. Cette différence, entre captation et reproduction, est importante. Quand on dessine, il y a apprentissage et compréhension de l’objet observé. Le procédé permet plus facilement, autant au dessinateur qu’au spectateur, de se retrouver dans le monde des idées, celui de l’imagination… La caméra, souvent, malheureusement, je ne la vois que pour ce qu’elle est : une toute petite ouverture, un unique point de vue, un simple trou dans une boîte. Utilisé à outrance (de plus en plus), c’est un outil presque abrutissant.
JD : L’exposition réunit quelque trente-cinq autres œuvres, dont sept impressions au jet d’encre provenant du même univers que celui de la vidéo. Les objets naturels, la forêt et les arbres surtout, reviennent souvent. Le monde de l’informatique, sous toutes sortes de dimensions, est omniprésent. On retrouve aussi beaucoup de dessins techniques et des grilles, superposés à d’autres éléments, des miroirs brisés, d’autres éléments encore, souvent aisément reconnaissables, parfois plus abstraits. Pourtant, les motifs se recoupent, les univers s’entrecroisent et des filiations sont possibles entre des éléments à première vue disparates. Quels sont les fils qui réunissent toutes ces œuvres, qui font communiquer tous ces « vases » et qui en font un ensemble cohérent ? Deux grandes lignes de force semblent se dégager, déjà présentes dans la vidéo : l’informe (de la particule infime à l’amas, aux cristaux, aux éclats, jusqu’aux nervures, rhizomes, blobs…) et les modélisations du réel (dessins techniques, grilles, dodécaèdres, jusqu’aux algorithmes informatiques…). Qu’est-ce donc qui est à voir dans ces œuvres ?
NB : L’exposition Vases communicants est un réseau maillé de trente-sept œuvres (il y a aussi un livre d’artiste, publié à cinquante exemplaires), où chaque pièce, chaque nœud est une proposition différente, mais reliée aux trente-six autres terminaux qui composent le lacis. Si on accepte que le point central, le concentrateur, le « hub » est la vidéo du même titre, le réseau devient alors un morphage « étoilé/maillé ».
Je ne sais pas si je suis d’accord avec les exemples de ce qui serait informe. Je trouve d’ailleurs le mot étrange et peu à même de décrire quoi que ce soit. Mais tu as raison, c’est vrai, l’exposition part dans beaucoup de sens. Je voulais l’organiser comme une arborescence complexe, un labyrinthe de fenêtres, un fatras de concepts, mêlant l’organique et le mécanique, dans une soupe obscure et difficilement compréhensible… Je voyais l’exposition comme une vue en coupe du monde et de ses étrangetés technologiques.
Je ne peux pas le cacher, c’était aussi une façon de créer une rétrospective, avec du travail qui n’existait pas avant (en imaginant qu’il avait toujours existé, de tout temps). L’idée du temps (qu’on décortique en passé, présent et futur) traverse l’expo, en filigrane. C’était exultant de recréer des œuvres, version 2.0, revues et corrigées, et de jouer au plasticien.
De plus en plus, tout en travaillant le corpus d’œuvres, je préfère isoler mon attention sur une pièce à la fois, la voulant autonome, lui conférant son importance, en oubliant momentanément le reste et en refusant de penser à un ensemble cohérent autrement qu’en angle mort. Une œuvre est un monde en soi. D’autant plus qu’en galerie, l’ensemble est appelé à être divisé rapidement, et que les pièces seront vite disséminées et qu’on ne les reverra probablement plus jamais ensemble. Ce n’est pas le même exercice qu’en musique, par exemple, où sur un album, les morceaux (leur ordre, l’interrelation que crée leur répartition) restent amalgamés.
Même si plusieurs thèmes émergent dans le parcours, et qu’ils se chevauchent à diverses intensités dans chacune des propositions, un des liens évidents, qui est sans doute une des idées principales qui unit l’ensemble, est tout simple : l’impression qu’une entité organique (l’humain) engendrera probablement une entité mécanique (l’IA), sans doute autonome à moyen ou à long terme. C’est cette apparition presque spontanée de la machine dans le monde qui me fascine, et à quel point elle s’est développée rapidement. Ollivier Dyens (je crois que c’est dans son livre Chair et métal) parle librement de la définition de la vie, en la simplifiant et la schématisant et en évoquant la réplication comme une balise commune au vivant. Le fait de s’autorépliquer équivaudrait presque à faire partie du vivant, créant un flou autour de la définition d’un virus, par exemple. Dorénavant, certains outils n’auront probablement plus besoin de « l’intermédiaire humain » pour se répliquer (beaucoup de programmes sont déjà en mesure de se mettre à jour par eux-mêmes et l’ont déjà fait, dans certains cas, beaucoup plus de fois qu’il y aurait eu de générations d’origine humaine). Existe-t-il un sommet à la dimension adaptative de l’IA, qu’elle pourrait un jour occuper ? Peut-on ainsi appréhender le mécanique sous l’angle de la notion d’évolution ?
J’ai de la difficulté à voir réellement la différence entre les choses, entre la technologie et le reste. Je sens que tout est fait d’une unicité, d’un matériau commun, qui se déploie sous différentes formes, comme les sculptures de sable sur une plage. J’aime penser aux amas de molécules, aux ondes, aux formes infinies de leurs chorégraphies, de leurs accumulations, qui composent chaque chose, qui créent chaque personne. J’aime y voir une danse colossale, qui ne connaît pas de pause à l’échelle cosmologique, et qui ne prend sens que dans le mouvement, la transformation, le temps, l’entropie… C’est une des raisons pour laquelle j’ai voulu « fossiliser » quelques articles dans l’exposition. Pour faire comme si… En créant l’illusion d’un moment encapsulé, stoppé. Par exemple, en figeant des modules de processeurs, de mémoires, de stockage, d’alimentation électrique, de transistors et de cartes mères pêle-mêle dans la résine. Ce faisant, je propose un voyage dans le futur.
Quand on observe le monde, une idée se retrouve presque toujours en sourdine, derrière chaque chose, en chaque chose : celle du réseau, du système réticulaire, qui organise et structure l’univers, et qui est à mon avis un concept primordial. On le retrouve partout dans le cosmos, à toutes les échelles, dans à peu près tout, vivant ou inanimé. Il habite aussi la plupart des œuvres de Vases communicants.
JD : Les motifs ou les objets représentés dans tes œuvres se donnent à voir dans leur immédiateté, mais il y a toujours quelque chose d’autre à découvrir ou à pressentir. Tout est bon pour mettre en question la représentation immédiate du réel : le jeu sur les matériaux, la fabrication, les titres, le caché, le trompe-l’œil. Est-il juste de penser que tes pièces sont construites un peu comme des énigmes, comme des problèmes (au sens mathématique) à méditer, à tenter de résoudre, des « machines » à réfléchir ?
NB : C’est drôle, car depuis des années je pense à mes propositions comme si elles étaient des machines, de mécanismes à observation, qui opèrent des stratagèmes dérobés.
La grande majorité d’entre elles semblent avoir été produites par des robots, sorties de chaînes de montage. Elles sont souvent sans aspérités, immaculées, sans défauts apparents, elles paraissent scellées, séparées du reste du monde, tout juste déballées et sorties de leur boîte. C’est une volonté, un choix évident… C’est important que l’idée émane sans ambiguïté, sans filtre, dans l’immédiateté. J’aspire à ce que mes propositions soient aussi limpides qu’emblématiques. Je les vois comme les porte-étendards de ce qu’elles présentent. Si la télépathie visuelle existait, je n’aurais probablement pas besoin de produire des objets, et mes projets resteraient somme toute parfaits (ou plutôt avec leurs défauts inhérents), à l’abri de la matérialité.
Il y a aussi souvent un jeu tautologique, où ce qui est montré, par exemple une machine, sous plusieurs de ses facettes, a été calculé et dessiné par la machine même. C’est la ferme de serveurs qui calcule l’animation du travelling avant reproduit dans le corridor de la ferme de serveurs. C’est la main qui se dessine en train de se dessiner.
Et puis il y a ce fourmillement… Un stratagème voulu, un jeu. Pour accepter d’illustrer la complexité du monde (sa profondeur dédaléenne, qui semble sans fin, et son insondable intrication), pour s’attaquer à cette chimère, il faut accepter à l’avance qu’on aura à battre en retrait, que ce sera un exercice impossible, utopique. L’intensité du réel, sa diversité, n’est absolument pas reproductible. Je ne peux que l’évoquer, l’effleurer. Dans ce fatras d’informations, construit, échafaudé, élaboré, se glissent facilement ici et là des indices, des clés, un parcours labyrinthique, une chasse au trésor où finalement l’objet tracé, traqué, n’est souvent rien d’autre que ce qui nous entoure, ce qu’il y a déjà partout en tout temps, l’hétérogénéité sans mesure dans laquelle nous baignons et que nous respirons, et qui nous constitue aussi.
Le miroir est donc omniprésent dans mon travail, même sans surface réfléchissante ornant le tableau.
JD : Toutes ces œuvres ont une matérialité bien palpable. On retrouve beaucoup d’images photographiques, des impressions au jet d’encre de grand format et de grande netteté, mais aussi beaucoup d’œuvres en 2D, produites avec des matériaux parfois inusités qui leur donnent une réelle épaisseur, une présence forte, de même qu’un bon nombre de sculptures, là aussi dans des matières souvent étonnantes. Mais cette matérialité bien sensible semble entièrement « travaillée » par la virtualité, comme si elle pouvait entièrement être ramenée à un équivalent abstrait, celui des données numériques. Ne serait-ce pas elles qui composeraient ce fluide circulant dans le système des vases communicants de l’exposition et en assurant l’équilibre ? Comme si on se trouvait non pas dans un simple système mécanique, mais plutôt dans une vaste entreprise de traduction, du virtuel vers un certain réel. On se retrouve ainsi un peu devant les mêmes questions que celles évoquées dans le rêve de Borges d’une carte à l’échelle qui recouvrirait la Terre entière. Sauf que maintenant la carte est tridimensionnelle et qu’elle se donne des allures de réalité. Et qu’en retour, ce sont les matériaux mêmes des œuvres qui portent en eux le questionnement sur ce qui est le réel.
NB : Puisque faire l’inventaire de tout, comprendre chaque objet, le redessiner au plus près, à l’échelle, sans concession, constituait l’idée de base de plusieurs pièces, il m’arrivait effectivement de penser à Borges. Le recensement de tout et partout, du plus petit au plus loin, m’obsède. C’est peut-être l’ultime peinture. Ce concept de la carte qui recouvre le monde qu’elle représente, le virtuel, les lunettes de réalité virtuelle ou de réalité augmentée et les jeux vidéo le font depuis déjà quelque temps. Et beaucoup préfèrent déjà s’y lover et y vivre. La bibliothèque de Babel, infinie, m’habitait aussi. Le catalogue, lui-même aussi interminable que la bibliothèque dont il identifie les ouvrages, est sens dessus dessous, et son « désordre apparent, se répétant, constituerait un ordre, l’Ordre ».
J’avais décidé de tout reproduire, absolument tout, de l’atelier et de la forêt. Même le caché, l’invisible, les choses qu’on ne voyait pas et qu’on ne verrait pas plus, dans les tiroirs, les coffres, les boîtes, derrière les panneaux, le caillou en dessous du rocher, la branche morte et son dernier repos au fond du cours d’eau, les racines enterrées, plus vastes que leurs houppiers… Visconti m’a ensorcelé avec son obsession du détail, dans son film Le guépard, alors qu’il s’obstinait à demander aux accessoiristes de remplir les meubles (qui ne seraient jamais ouverts et dont on ne verrait jamais l’intérieur à la projection) d’objets d’époque. Finalement, j’ai dû mettre un frein à cet élan. C’en était trop, on ne s’en sortirait pas : il y avait en réalité bien plus d’objets dissimulés qu’apparents. Un projet de fou, qui aurait nécessité des années de labeur de plus, à plusieurs mains. Aussi, pour des complications techniques (les rendus des animations devenaient beaucoup trop lourds à gérer), on a laissé tomber. Mais l’exercice m’interpelle encore.
La volonté de calquer le réel, de le reproduire fidèlement, c’est se donner une mission, celle d’une idée toute simple : un travail méticuleux, acharné, de moine, titanesque, plus grand que soi, que l’étendue mise à plat de tout ce qu’on peut être et imaginer, et qui paraît infini. Comme individu, c’est certainement une façon de s’illusionner sur l’emprise dont on se sent capable, et de se sentir « en contrôle ». Mais David ne vainc jamais Goliath, à ce jeu.
JD : L’ordinateur est lui aussi l’expression métonymique de l’atelier de l’artiste : dématérialisé, en réseaux, surtout au niveau de la conception, mais reposant encore sur des ateliers de fabrication et des équipes de collaborateurs, et d’artisans même parfois, pour ce qui est de la production. À quoi ressemble concrètement l’atelier de Nicolas Baier en ces années de production intensive ? Quels sont les moyens requis, en termes de temps de réflexion, d’esquisses, de prototypage, d’essais-erreurs sur les matériaux, de calibrage des outils, de collaboration avec des spécialistes, d’étapes de production…, pour arriver à produire ainsi un ensemble d’œuvres impliquant des défis techniques très diversifiés ?
NB : L’ordinateur, en sa conception même, avec ses portes logiques, ses codes (son langage : une forme d’espéranto), ses circuits intégrés et ses modules microscopiques, peut faire penser à un modèle réduit du monde, ou de l’humain. L’analogie avec le cerveau est aussi aisée, et le sera certainement davantage, avec le biomimétisme qui prend de plus en plus de place en recherche et développement. Il est une source inépuisable de métaphores. Ultra-tentaculaire, il occupe tous les espaces des domaines humains. Il peut représenter, au moins dans le champ de la poésie des arts visuels, tout ce qu’on veut. C’est l’outil total, extra-polyvalent, utilisé dans toutes les professions, en tout temps. Il nous accompagne de la naissance à la mort. Même un peu avant et un peu après.
L’atelier, lui, est un espace malléable, au service des projets, qui se transforme constamment. Lui aussi change à notre guise, et est tout ce qu’on veut, tout ce dont on a besoin qu’il soit. Une (trop) large part de mon travail est portée sur son aménagement. On le change au gré de ce qu’on doit y produire. Mais il ne s’y passe rien de systématique. La production, la réflexion et tout ce qui s’y déroule se font simultanément, ou pas, dans un désordre perpétuel. Même si la plupart du temps il grouille d’activités, il peut aussi être en jachère pour quelques semaines. En ce moment, ce sont surtout les machines de soustraction (CNC) qui prennent la place. Pour encore quelques mois, notre travail y sera presque autant robotisé que celui des machines qu’on met en marche. Il s’agit de terminer la fabrication de grandes cimaises, en bas-reliefs, pour deux projets d’art public.
Je ne peux pas m’étendre ici sur des cas particuliers, mais les choix des matériaux, les techniques qui vont de pair, tout est chaque fois choisi en fonction du cas qui se présente, de l’idée. Je n’ai pas de pratique préférée. Ce serait une erreur de m’attacher à une technique, à un média, ou à un matériau en particulier. Ce serait aborder le monde à rebrousse-poil. Mes tables de travail ressemblent plus à du mobilier de laboratoire qu’à ce qui doit se trouver dans un atelier d’artiste traditionnel (je ne suis certainement pas le seul à œuvrer de cette façon). Un nouveau projet amène souvent son lot d’essais-erreurs et l’essentiel de la production se fait dans le balbutiement, dans l’excitation de découverte qu’amène toute opération de recherche et développement. On ferme les yeux (enfin… pas tout à fait) et on fonce. Comme beaucoup d’artistes, je mets tout dans mon travail. C’est un tout-en-un total, autant en termes d’argent que de temps ou d’énergie. Tout y passe, littéralement.
JD : Qu’en est-il de ce qui est en cours dans l’atelier de Nicolas Baier ? Il y a sûrement des projets en production, d’autres en gestation. Y a-t-il de nouveaux objets de curiosité et d’investigation ? De nouveaux défis techniques, des questions qui ont émergé des Vases communicants ? À quoi faut-il s’attendre de ta part pour la suite des choses ?
NB : Je vais surtout continuer à montrer la liaison évidente, qui va de soi, entre l’humain et la machine. Cette relation est en pleine mutation, et elle fait maintenant partie intégrante des spéculations sur notre futur. Je suis stupéfait de constater à quel point notre éveil collectif, face à ces nouveaux soucis, ces nouvelles inquiétudes, est à mon avis subit et tardif. Il en va au minimum de notre sécurité cognitive. Comment se positionner face au tsunami que représente l’IA, avec toutes ses nouvelles fonctions, ses capacités redoutables et sa puissance de calcul inimaginable ? Ça fait longtemps qu’on aurait dû s’y arrêter. Faudra-t-il faire opposition, marquer un refus ? Je crois qu’il est déjà trop tard, et que la seule solution envisageable sera de s’asseoir sur l’épaule du géant.
Je le répète, je vois ce lien, entre la nature et l’ordinateur, comme flagrant et incontestable. J’essaie de le faire sans biais, sans a priori, sans jugement. Je ne vois pas nécessairement l’opposition entre les deux. Je perçois ça comme un long fleuve, mais il n’est peut-être pas tranquille. La machine occupe désormais une case qui lui était due, dans l’histoire de l’évolution, et qui n’était pas si difficile à prévoir. Elle nous offrira sans doute encore plus de temps de cerveau disponible, et un de nos défis sera d’occuper ce temps à autre chose qu’à du divertissement, qu’à du temps d’écran. Surtout avec la corne d’abondance de loisirs/consoles disponibles 24 h/24, 7 j/7 (en un clic) dont nous nous sommes dotés. Notre routine mentale peut sans doute s’améliorer (la mienne en premier lieu). Il est aussi sans doute temps de repenser à ce que les nouveaux types de médias peuvent offrir en termes pédagogiques, d’édifications ou d’enrichissements. N’y aura-t-il que la lecture comme porte de sortie? Le livre est-il le seul deus ex machina qui sauvera nos cerveaux ramollis ?
Je vais aussi continuer à travailler sur le temps, le changement, la chaleur et l’entropie (presque des synonymes), parce qu’à mes yeux obstrués c’est là l’essentiel du réel.
Né en 1967, Nicolas Baier est un artiste montréalais, tour à tour photographe, peintre et sculpteur, qui expose depuis quelque trente ans des travaux aux assises numériques. Avec plus d’une trentaine d’expositions individuelles dans les galeries et les musées canadiens parmi les plus prestigieux, un grand nombre de participations à des expositions collectives ici et à l’étranger, plus d’une quinzaine d’œuvres d’art public, une présence significative dans des collections publiques et privées et plusieurs monographies, il est certainement un des artistes majeurs de sa génération. Nicolas Baier est représenté par la galerie blouin | division, basée à Montréal et à Toronto. www.nicolasbaier.com
Jacques Doyon est rédacteur en chef et directeur de Ciel variable.
EXTRAIT 1 Quand on dessine, il y a apprentissage et compréhension de l’objet observé. Le procédé permet plus facilement, autant au dessinateur qu’au spectateur, de se retrouver dans le monde des idées, celui de l’imagination… La caméra, souvent, malheureusement, je ne la vois que pour ce qu’elle est : une toute petite ouverture, un unique point de vue.
EXTRAIT 2 J’avais décidé de tout reproduire, absolument tout, de l’atelier et de la forêt. Même le caché, l’invisible, les choses qu’on ne voyait pas et qu’on ne verrait pas plus, dans les tiroirs, les coffres, les boîtes, derrière les panneaux, le caillou en dessous du rocher, la branche morte et son dernier repos au fond du cours d’eau, les racines enterrées…
[1] Vases communicants, galerie Blouin Division, du 21 janvier au 11 mars 2023.
An Almost Spontaneous Appearance of the Machine in the World
An interview by Jacques Doyon
On the occasion of Nicolas Baier’s major exhibition held in Montreal in early 2023,[1] we sat down with him to talk about its main themes.
Jacques Doyon: It seems appropriate to start with the video titled Vases communicants, a high point of the exhibition – if not its anchor point – the title of which was borrowed for the exhibition as a whole. It features vast workshop-office spaces with shiny surfaces (modelled on three-dimensional works that you’ve made before) gradually being taken over by nature that’s both luxuriant and menacing. We find ourselves in a maelstrom of materials, natural or fabricated, that look both realistic and unreal, as if we’ve been swept up in a kind of magma. Can you talk in detail about this work, what we’re looking at and how it was made, and about how it both contrasts and melds the constructed and the natural, the real and the virtual? Is it an allegory for a catastrophe to come or, on the contrary, a great mass of particles percolating?
Nicolas Baier: In fact, it’s not a question of “nature” taking over. It simply exists. I show it.
The effect you describe is no doubt due to the parallel editing of these two scenes, interior and exterior. Above all, I don’t want to talk about nature taking back its rightful place. Even in the stills from the video, I see this cohabitation, rather, as an equivalence, as two forms – disparate at first glance – displaying the same weight, each of them on one of the two platters of a single scale. I like to see it as a nod to the allegory of Plato’s cave.
In the video, the sun lashing the reflective surfaces of the walls and all the things (we don’t see the sun directly, only its reflection) is a reminder of the shadows and light flickering in the cave. Also, we can think about prehistoric cave paintings – in a way, caves were the first studios. I deliberately made sure to insert and highlight the four elements: fire, air, earth, and water.
Over time, I realized that the recurrent use of the studio as a subject in my work is analogous to movie directors constantly returning to an actor they’re obsessed with. As far as I’m concerned, the studio is an icon. It’s where ideas are manifested, where research is conducted, and where a reasonable yet informal mixture is uncovered and made real. In this sense, it’s an emblematic, almost mythical space. The studio is the absolute command post: everything is tucked in there – each decision, each attempt, each thought – so much so that over time it’s easy to get fooled into thinking that everything is born there, everything happens there, that it’s an extension of the mind. In fact, this perception is greatly exaggerated. Obviously, only a few questions, a few themes, chosen here and there, filter through, with the resources available, in an endeavour that often looks more like do-it-yourself than seriously disciplined work. I have the feeling that we capture only the reflections of things – that the traces, the shadows, and the essence evade us, constantly. That’s why I use mirrors in this video. They let me emphasize this observation.
With the mirrors, the gaze is under tension, skewed, it can’t rest or stop at an end point. It never gets a break. The eye endlessly ricochets off edges, off the walls of things, so it can rebound on other surfaces, everywhere it goes, in a constant coming and going, a perpetual mise en abyme. Our comprehension of the area and the concept of a place resurfaced like this is blurred by the incessant play of reflections that emanate from each plane.
By definition, the studio is a space for thought, where you consider the concrete, where you point to and focus your attention on a chosen segment of reality. So, the studio is a mirror: of reality, of what’s happening, of the “there is.” Some days, I admit, that I feel like I’m chained or imprisoned there, and that my understanding of what is around me is completely coloured by that space. Like with the mirror and the cave, there is this play on recording and projection that takes place there every day.
Despite this, the world of ideas is omnipresent and, as in Plato’s allegory, it is mainly somewhere else, outside, always elsewhere. In the video, I chose the forest to evoke the incommensurable totality of what exists. It seems to me to be a logical choice. It’s a good illustration of the fairly common, widespread idea of nature (and all its possibilities): it’s inclusive, it encompasses everything, nothing eludes it – land, water, elements, flesh, thoughts, planets, stars, cosmos, machines. The forest is also probably our earliest habitat, our original home. They say that we descended from trees. If there is one place on Earth we’ve been associated with, intrinsically, since our first unsteady steps, it’s the wooded expanse.
I wanted to juxtapose these two worlds – reality, the world of possibilities – and also our genesis (represented by this forest) and a place to think about it, almost beyond the world, equipped with the latest technologies, machines, and robots (the studio). So, although we often think of nature and technology confronting one another, all I can see is a history, an extension of one by the other. These two spaces (they could be the same geographic place, only many years apart) reflect and respond to each other over time. One is “virgin” land where human beings must find their bearings and struggle to survive; the other is a space where everything, without exception, has been created and produced by humans to meet their needs.
The soundtrack helps this juxtaposition become a superimposition. We don’t know exactly what we’re hearing: is it rain, drops of water hitting leaves, or fingers tapping on keyboards? Is it thunder or a rumbling machine? In fact, the soundtrack is a mix of several live recordings in situ (in the jungle, beside streams or rivers, in fields and forests, in the studio, with all the machines) and traditional sound effects, which are all tricks and subterfuge, in order to mix up the tracks and blur the references.
I didn’t want the forest to be threatening. Under most forest canopies with dense foliage, it’s quite dark even in full daylight. The video is imbued with this very specific luminosity – dusk, the blue hour, when day is melting into night and vision begins to fade. The end of the video shows the reflection of a starry sky, after a long travelling-forward shot, on a work table. The table is in a forest clearing. It’s a bit like Kubrick’s monolith. It was a way to open the outcome to the field of possibilities. In the studio, the table is generally where everything becomes real, where ideas take shape, after many stages of making and modifying.
The film is entirely drawn (generated) and not filmed (captured). It was not a simple solution. The list of objects to be modelled seemed infinite. I didn’t want to point; I wanted to suggest. This difference, between capture and reproduction, is important. When you draw, you learn about and comprehend of the object observed. The process makes it easier, for both the drawer and the spectator, to enter the world of ideas, the world of imagination. Often, unfortunately, I see the camera only for what it is: a tiny opening, a unique point of view, a simple hole in a box. Used excessively (more and more), it’s an almost mind-numbing tool.
JD: The exhibition includes thirty-five other pieces, including seven inkjet prints from the same universe as that of the video. Natural subjects, especially the forest and the trees, return often. The world of computers is omnipresent in all sorts of ways. There are also many technical drawings and grids – superimposed over other elements – broken mirrors, and still other things, many easily recognizable, some more abstract. Yet, the motifs intersect, the universes cross, and it’s possible to make connections between elements that seem disparate at first glance. What are the threads linking all these works – these “vessels” – and making them into a coherent whole? Two major lines of force seem to emerge, already visible in the video: the formless (from tiny particle to clusters, crystals, shards, and even veins, rhizomes, and blobs) and the modelling of reality (technical drawings, grids, dodecahedrons, and up to computer algorithms). So, what are we seeing in these works?
NB: The exhibition Vases communicants is a linked network of thirty-seven works (there is also an artist book, printed in an edition of fifty), in which each piece, each node, is a different proposal but related to the thirty-six other terminals that comprise the lattice. If we accept that the central point, the hub, is the video of the same title, the network then becomes a morphing of “starry/meshed.”
I don’t know if I agree with your examples of formless things. In fact, I find the word strange and not very descriptive of anything. But you’re right, it’s true, the exhibition goes in many directions. I wanted to organize it like a complex branching, a labyrinth of windows, a jumble of concepts, mixing the organic and the mechanical, in a dark, hard-to-understand soup. I saw the exhibition as a cross section of the world and its technological weirdnesses.
I can’t deny that it was also a way of creating a retrospective, with work that hadn’t existed before (by imagining that it had always existed, throughout time). The idea of time (which we divide into past, present, and future) underlies the show. It’s wonderful to re-create works, version 2.0, revised and corrected, and to play at being a plastic artist.
More and more, even as I work with the corpus, I prefer to concentrate on one piece at a time, seeing it as autonomous, making it important, momentarily forgetting the rest and refusing to think of a coherent grouping except as a blind angle. A work is a world in itself – especially because in the gallery, the grouping is likely to be broken up quickly; the pieces will be almost immediately be sent to other places and will probably never be seen again together. It’s not the same exercise as in music, for instance, where the pieces of an album (their order, the interrelationship created by how they’re placed) remain joined together.
Even though several themes emerge in the exhibition and overlap with various degrees of intensity in each work, one of the obvious connections, certainly one of the main unifying ideas, is very simple: the sense that an organic entity (a human being) will probably engender a mechanical entity (AI) that will no doubt become autonomous over the medium or long term. It’s this almost spontaneous appearance of the machine in the world that fascinates me, along with how quickly it has evolved. Ollivier Dyens (I believe in his book Chair et métal) speaks freely of the definition of life, simplifying and diagramming it; he evokes replication as a common reference point for being alive. Self-replication is thus almost equivalent to living – blurring the definition, for example, of a virus. Henceforth, certain tools probably will no longer need “human intervention” to replicate themselves (many programs are already able to update themselves and some have already done so many more times than there have been iterations generated by humans). Will the adaptive dimension of AI someday reach and occupy a peak? Can we thus apprehend the mechanical from the angle of the concept of evolution?
I have difficulty really seeing the difference between things, between technology and the rest. I feel that everything is made of a oneness, a common material, that is deployed in different forms, like sand sculptures on a beach. I like to think of masses of molecules, of waves, of the infinite forms of their choreographies, their accumulations, that make something, that create each person. I like to see them in a colossal dance that doesn’t pause at the cosmological level and that becomes meaningful only in movement, transformation, time, and entropy. It’s one of the reasons that I wanted to “fossilize” some of the things in the exhibition. To do as if . . . by creating the illusion of an encapsulated, arrested moment. For example, by haphazardly fixing processor modules, memories, storage, power feeds, transistors, and motherboards in resin. By doing this, I’m proposing a trip into the future.
When we look at the world, there’s almost always an idea in the background, behind everything, inside everything: that of the network, the reticular system, that organizes and structures the universe; in my opinion, it’s a primordial concept. It can be found everywhere in the cosmos, at every scale, in almost everything, alive or inanimate. It also inhabits most of the works in Vases communicants.
JD: The motifs or objects represented in your works are seen in their immediacy, but there’s always something to discover or anticipate – anything that challenges the immediate representation of reality: the play on materials, the fabrication, the titles, the hidden, the trompe-l’oeil. Is it right to think that your pieces are constructed a bit like enigmas, like problems (in the mathematical sense) to meditate on, to try to solve, “machines” for reflection?
NB: It’s funny, because for years I’ve been thinking of my works as if they were machines, mechanisms for observation, that operate like concealed stratagems.
The vast majority of them seem to have been produced by robots, sorts of assembly lines. They are often totally smooth, immaculate, with no apparent defects; they appear sealed, separated from the rest of the world, just unwrapped and taken out of their box. It’s deliberate, an obvious choice. It’s important that the idea emanate without ambiguity, without a filter, with immediacy. My hope is that my works are both clear and emblematic. I see them as standard-bearers for what they present. If visual telepathy existed, I probably wouldn’t need to produce objects, and my projects would remain altogether perfect (or, rather, with their inherent defects), sheltered from materiality.
There is also a tautological game, in which what is shown – for example a machine, from several sides – has been calculated and drawn by the machine itself. It’s the server farm that calculates the animation of the forward travelling reproduced in the corridor of the server farm. It’s the hand that draws itself drawing itself.
And then there’s the swarm – an intentional stratagem, a game. To agree to illustrate the complexity of the world (its seemingly endless labyrinthine depth and its unfathomable intricacy), to come to grips with this chimera, we must agree in advance that we will lose the battle, that it will be a futile, utopian exercise. The intensity and diversity of reality is absolutely not reproducible. I can only evoke it, brush up against it. Here and there, clues and keys easily creep into this clutter of constructed, scaffolded, formulated information; it’s a convoluted path, a treasure hunt in which the object that is traced and tracked is often, in the end, just what is around us, what there has always already been, immeasurable heterogeneity in which we are immersed and which we breathe, and which we are also composed of.
So, the mirror is omnipresent in my work, even without the reflective surface adorning the painting.
JD: All of your works have a palpable materiality. There are many photographic images – large-format, very clear inkjet prints – but also many 2D works, some of them made with unusual materials that give them a real thickness, a strong presence, and a number of sculptures, many of which are also made with surprising materials. But this tangible materiality seems entirely “worked” by virtuality, as if it could be entirely reduced to an abstract equivalent – that of digital data. Might the fluid circulating in the exhibition’s system of communicating vessels, ensuring its equilibrium, be composed of digital data? As if we found ourselves not in a simple mechanical system but in a vast undertaking of translation from the virtual to a certain reality? This brings up more or less the same questions as those evoked in Borges’s dream of a map of a scale that covers all of Earth. Except that now the map is three-dimensional and resembles reality. And in return, the works’ very materials bear within them the questioning of what is real.
NB: Because making an inventory of everything, understanding each object, redrawing it as closely as possible, at scale, without concessions, constitutes the basic idea of many of the pieces, I did in fact think of Borges. I’m obsessed with making a list of everything everywhere, from the smallest to the most distant. Perhaps that’s the ultimate painting. This concept of the map that covers the world it portrays – it’s already been a thing for some time in virtual reality or augmented reality goggles and in video games. And many people already prefer to curl up and live there. Borges’s “The Library of Babel” – an infinite library – was also on my mind. The catalogue, itself as interminable as the library whose books it identifies, is upside down, and its “same disorder… repeated, becomes order: the Order.”
I had decided to reproduce everything, absolutely everything, from the studio and the forest. Even things that are hidden, invisible, the things one can’t see and would never see, in drawers, safes, or boxes, behind panels, the pebble under the rock, the dead branch and its final resting place at the bottom of the river, the buried roots, huger than the trees’ crowns … Visconti’s obsession with detail in his film The Leopard fascinated me: he kept asking the props people to fill the furniture (which would never be opened and the inside of which would never be seen in the film) with period objects. Finally, I had to put a stop to this impulse. It was too much, it would never end: in reality, there were many more hidden objects than visible ones. It was a crazy project that would have required years more of labour by many hands. There were also technical complications (the animation renderings had become too big to manage), so we let it drop. But the exercise still intrigues me.
The desire to model reality, to reproduce it faithfully, is to take on a mission based on a very simple idea: work that’s meticulous, unremitting, monk-like, titanic, greater than oneself – the flattened expanse of everything we can be and can imagine, and that seems infinite. As an individual, it’s certainly a way to delude oneself about the influence that one thinks one might capable of and the sense of being “in control.” But David never vanquishes Goliath in this game.
JD: The computer is also a metonymic expression of the artist’s studio: dematerialized, networked – especially at the conception level – but still based on fabrication workshops and teams of collaborators, and even, sometimes, artisans, when it comes to production. Concretely, what does Nicolas Baier’s studio look like in these years of intensive production? What resources are required, in terms of time to think, sketches, prototyping, trial and error on materials, calibration of tools, collaboration with experts, and production stages, to produce a set of works involving a wide variety of technical challenges?
NB: The computer, in its very design, with its logic gates, codes (its language – a form of Esperanto), integrated circuits, and microscopic modules, might remind you of a miniature model of the world, or of a human being. The analogy with the brain is quite obvious and certainly will be more so as biomimetics becomes increasingly important in research and development. It’s an inexhaustible source of metaphors. Its tentacles are everywhere, it occupies all areas of human endeavour. In the field of visual arts poetry, at least, it can represent anything you want. It’s the total tool, super-multiskilled, used in every profession, all the time. It is with us from birth to death. Even a bit before and a bit after.
The studio is a malleable space, used for projects, constantly being transformed. It also changes as we wish and is everything we want, everything we could possibly need. A (too-) large part of my work is based on its layout. It changes according to what we must produce in it. But nothing systematic happens there. Production, thinking, and everything that takes place there does so simultaneously, or not, in perpetual disorder. Although it’s buzzing with activity most of the time, it may also lie fallow for a few weeks. Right now, it’s mainly the subtractive (CNC) machines that are taking up space. For another few months, our work will be almost as robotized as that of the machines we’re running. We’re completing the making of large bas-relief walls for two public-art projects.
I can’t say more here about particular cases, but the choice of materials and the techniques that go with them – everything is chosen each time according to the case, the idea, that’s presented. I don’t have a favourite practice. It would be a mistake to associate me with one technique, medium, or material in particular. That would be to approach the world the wrong way. My work tables look more like lab counters than what one would find in a traditional artist’s studio (certainly, I’m not the only one who works this way). A new project often leads to its own set of trials and errors, and the basic work is done in baby steps, with the excitement of discovery that all research and development activities bring. We close our eyes (well, not completely!) and forge ahead. Like many artists, I put everything into my work. It’s totally all in, in terms of money as much as time or energy. Everything, literally, happens there.
JD: What’s happening right now in Nicolas Baier’s studio? There are surely projects in production and others under development. Are there new subjects that you’re curious about and investigating? New technical challenges or questions that emerged from Vases communicants? What should we expect from you moving ahead?
NB: Mainly, I’ll continue to show the obvious, self-evident link between humans and machines. This relationship is in the midst of changing, and it is now an integral aspect of speculation about the future. I’m stunned to see how suddenly and how late, in my view, we’ve collectively woken up to these new concerns and anxieties. At minimum, it involves our cognitive security. How should we position ourselves in the face of the AI tsunami – all its new functions, its formidable capacities, and its unimaginable calculation power? We should have taken account of this a long time ago. Do we have to oppose it, reject it? I think it’s already too late, and the only feasible solution will be to sit on the shoulder of giants.
I’ll say it again: I see this connection between nature and computer as blatant and uncontestable. I try to see it without bias, without preconception, without judgment. I don’t necessarily see the two as opposed. I perceive it as a long river – though maybe not a tranquil one. These days, the machine occupies a place in the history of evolution that was due to it, and that wasn’t so difficult to foresee. It will no doubt free up even more available brain time, and one of our challenges will be to occupy this time with something other than entertainment, screen time. Especially with the cornucopia of recreation and consoles available twenty-four hours a day, seven days a week (with just a click) that we’ve granted ourselves. Our mental routine could certainly improve (mine, to begin with). It’s also no doubt time to rethink what the new types of media can offer in terms of education, edification, and enrichment. Will reading be the only way out? Will books be the only dei ex machina that can save our flabby brains?
I’ll also continue to work on time, change, and heat and entropy (almost synonymous) because, to my obstructed eyes, that’s the essence of reality. Translated by Käthe Roth
Nicolas Baier, born in 1967, is a Montreal photographer, painter, and sculptor who has been exhibiting his digitally based works for about thirty years. One of the major artists of his generation, he has had some thirty solo shows in prestigious Canadian galleries and museums and works in group exhibitions in Canada and abroad, has produced more than fifteen works of public art, is well represented in public and private collections, and is the subject of several monographs. He is represented in Montreal and Toronto by Galerie blouin |division. www.nicolasbaier.com
Jacques Doyon is editor-in-chief and director of Ciel variable.
EXTRAIT 1 One of the obvious connections, certainly one of the main unifying ideas, is very simple: the sense that an organic entity (a human being) will probably engender a mechanical entity (AI) . . . It’s this almost spontaneous appearance of the machine in the world that fascinates me, along with how quickly it has evolved.
EXTRAIT 2 When we look at the world, there’s almost always an idea in the background, behind everything, inside everything: that of the network, the reticular system, that organizes and structures the universe . . . It can be found everywhere in the cosmos, at every scale, in almost everything, alive or inanimate. It also inhabits most of the works in Vases communicants.
[1] Vases communicants, Blouin Division, from January 21 to March 11, 2023.