Le philosophe Whitehead a déjà observé que les matériaux emblématiques de l’humanité se résument à une paire fondamentale : le miroir et la poussière, symboles de la connaissance et de l’ignorance, de l’intelligence du monde et de son insondable mystère.
C’est quand je travaillais sur la Vanités (Miroir cassé) que j’ai pensé à la réalisation de cette autre Vanité. L’idée de refaire la forme de l’objet à l’identique, le reconstruire, minutieusement, avec la plupart du temps des technologies similaires à celles employées lors de la création des prototypes mêmes de ces objets. L’acte sculptural d’imitation, de ressemblance, de mimesis, était autant dans le procédé de fabrication que dans le résultat exposé.
Tous les objets sont des miroirs de ce que nous sommes.
L’œuvre-miroir reproduit un poste de travail typique de notre époque presque dématérialisée, avec un bureau, un fauteuil, deux écrans d’ordinateur plat, un scanner, un clavier et une souris, et plusieurs fils électriques. La machine qui potentiellement contient La connaissance humaine dans son entièreté, La banque de données du savoir est là, dans chaque maison occidentale, pour tout les métiers et pour toutes les occupations.
Chaque éléments a été découpé finement, taillé dans la masse, comme la ronde-bosse l’exige (de la sculpture « pure », de la soustraction), dans un métal poli et plaqué de nickel miroitant. La pièce est immédiatement reconnaissable par chacun, et multiplie les ouvertures symboliques.
Le miroir, c’est bien sûr celui de la découverte de soi, de l’identité réflexive, des reflets du monde, mais c’est aussi une formidable mécanique à déformer la réalité ou à initier à un autre univers terré «de l’autre côté».
C’est bien sûr aussi, pour moi, une manière de poursuivre d’une toute autre manière le travail sur le miroir comme objet et symbole, la réflexion artistique et les images déformées. Avec les scanners et la numérisation de vieux miroirs des mosaïques Vanités 01, 02 et 03, j’ai eu le sentiment d’atteindre la limite de représentation d’une pure représentation, d’une image se reflétant elle-même, d’un reflet de reflet. Avec cette nouvelle pièce, je voulais relancer le traitement du miroir mais aussi du processus de dématérialisation en train de transformer tous les aspects de la vie, l’art y compris.
Les objets sont insérés dans un écrin qui est lui-même miroir, sans teint, rappelant la volonté folle de transparence totale de soi, des autres et du monde. La boîte de verre vampirise littéralement le spectateur. Il ne s’y voit pas, et c’est le reflet du reflet qu’il perçoit à l’endroit où normalement, il aurait du s’apercevoir.
Le passage d’un courriel d’une amie, Jennifer Alleyn : « Cette œuvre est un polaroïd glaçant tout ce que notre époque a de symptomatique. L’isolement terrifiant, la déshumanisation, les possibles.
Le contraste de la matière fondamentale, originelle incarnée dans cette paroi rocheuse en arrière plan et de l’immatérialité du virtuel enfermé à son tour dans un retour au minéral, à cette enveloppe de nickel est poignant.
C’est terriblement final.
Déjà presque une image du passé.
De la civilisation qui aura été.
Poussière de millénaire.
Qui se laisse introniser, couler comme un bijou dans son écrin.
Pour les yeux qui survivront.
Troublant de voir tous ces gens, tourner autour d’une cage de vide. Comme au zoo des hommes éteints. Se regardant eux-mêmes dans cette représentation de leur absence. »
Ce bureau était le mien. Mais c’est plutôt anecdotique de le dire et de le savoir. Ce n’est pas un autoportrait. Je pense que c’est important de le mentionner. Ce qui est essentiel, c’est que c’est un bureau d’artiste. Je compte (j’espère) aussi faire deux autres Vanités de ce type, avec un bureau d’astrophysicien, et un bureau de philosophe.
Trois métiers qui ne sont pas automatiquement autocentristes, qui ne positionnent pas nécessairement l’être humain au centre de tout…