Les différentes collections qui composent un musée encyclopédique comme le nôtre forment des ensembles relativement autonomes. Ici l’art islamique, là les antiquités gréco-romaines, l’art précolombien, les maîtres anciens, l’art contemporain, et ainsi de suite selon le profil de l’institution. Le métissage historique est rare, autant pour des raisons de taxonomie, d’administration des collections, que d’exigences objectives. Sous les projecteurs des salles d’exposition, les œuvres, ces orphelins de l’Histoire, paraissent rarement heureux en présence d’étrangers. Une force d’attraction «naturelle» semble les pousser vers leurs semblables.
SA : Nicolas Baier, qu’avais-tu à l’esprit en proposant d’intégrer ton travail au sein des collections du Musée des beaux-arts?
NB : J’ai ce vaste projet, flou et utopique, de toucher par l’observation, et donc le cadrage, à toutes les périodes de la peinture parce que je crois que la peinture est le domaine de la réalité de l’imaginaire. La construction mentale qu’un peintre se fait, se matérialise en peinture avec des éléments du réel, tache, objet, ciel. Tous les éléments proviennent de la réalité. Mon esprit fonctionne comme celui d’un peintre. D’ailleurs j’ai été peintre à mes début. Mais c’est plus difficile de parvenir à donner forme à cette projection imaginaire en photographie, il faut tricher. Il faut travestir le réel. En peinture, on ne travestit pas, on invente du réel.
SA : As-tu une préférence pour une période ou un chapitre donné de l’histoire de l’art?
NB : Non. Je considère qu’il y a deux sortes de peinture : la bonne, la pas bonne. Je peux aimer un Picasso autant qu’un Tintoret. Je suis un fan de Bruegel. La vie de tous les jours et le surréel. C’est exactement ce que je veux faire. Magritte aussi. Pour moi, c’est le dauphin de Bruegel.
SA : Où trouves-tu ton inspiration?
NB : Partout où je passe. Mon atelier, les lieux que je fréquente. Les livres, les films, surtout les films. Tarkowski, le plus grand cinéaste de tous les temps. Un poète de l’image. Robert Morin. Prise de conscience du réel. Et il fait beaucoup avec peu. Je me reconnais là-dedans. Ce que je fais, c’est du low-tech. Des appareils photo communs, des lentilles banales, quelques notions de photoshop. Arranges-toi avec ça. Si on pouvait être artiste sans témoigner, je ne ferais que regarder, je ne prendrais pas de photo. Je serais un conteur d’images. Mais ce serait encore témoigner.
SA : Fréquentes-tu les musées?
NB : Très peu. En voyage, pour faire semblant. Quand je vois trop d’art, je bloque, je ne peux plus créer. C’est comme un coup de foudre, je n’arrive pas à détacher mon esprit de ce que j’ai vu. Je ne pars jamais d’une œuvre d’art, je ne me dis jamais : «Tiens, je vais faire une œuvre qui ressemble à un Borduas, ou à un autre artiste.» Je pars de la vie. J’ai besoin de beaucoup de temps libre, de silence, flâner, marcher, regarder les gens. J’ai besoin de vivre loin des lieux de l’art. Tati, le cinéaste, disait que la majeure partie de son travail entre les tournages, c’était de s’asseoir à une terrasse et regarder les gens. Et il ne prenait même pas de notes. J’essaie de sortir du cadre de la photo, constamment. Je ne veux pas juste faire des snapshots, je cherche la part d’imaginaire dans la réalité. En fait j’ai un but encore bien plus vague et vaste que ça, c’est que les gens apprennent à regarder. Plus tu regardes, plus tu écoutes, plus t’es à l’écoute de la vie.