EG : Ta définition de la beauté?
NB : La beauté n’existe pas, on ne fait que se projeter dans les objets, les peintures, les films, les expériences. Tout est inanimé, c’est nous qui conférons une aura aux items. Néanmoins, quand cet exercice s’opère, il fait jaillir un sentiment admiratif, quelque chose de doux aux papilles.
EG : Qu’est-ce qu’une bonne/mauvaise image?
NB : C’est lorsque le pouvoir d’évocation surpasse la plasticité et qu’elle rebondit. Entre eux s’échafaudent alors – dans un mouvement de va-et-vient aléatoire – une complicité authentique qui a comme intention la synthèse au service du sens.
EG : Je t’ai connu occupant un des ateliers de la Galerie CLARK, lieu de travail artistique, lieu pour tes outils de construction, lieu de beuveries et canapé pour toute chambre (l’atelier-garçonnière). Tous tes mondes en un seul cénacle. Aujourd’hui, dans le nouveau Centre Clark, ton atelier est entrepôt tandis qu’à la maison, l’ordinateur-roi trône au milieu du salon. Il semble être devenu l’atelier-réceptacle – une compression – de tes fantasmagories et expérimentations multiples. Un travail de « petites mains » dans un environnement relativement asptisé remplace les façonnages et échaffaudages (menuiserie, rénovation, design etc.) parfois laborieux. L’espace l’atelier?
NB : Je m’en passe. Mon atelier est partout là où je suis, où mes yeux se posent. C’est donc très vaste et nulle part à la fois. Idéalement il me faudrait un espace, très grand et aéré, pour accrocher, pour tester, pour explorer. C’est difficile de s’imaginer une photo à sa taille réelle à l’écran. Pourtant, c’est essentiellement comme ça que je travaille. Ça crée de bonnes et de mauvaises surprises lors du développement des grands formats ou de l’installation. Il y a donc place à beaucoup d’améliorations de ce côté.
EG : Que réponds-tu à ceux qui parlent de ton travail comme du « Photoshop 101 »?
NB : Qu’ils ont tout à fait raison. Je ne suis ni un plasticien ni un artisan. Toutes les manœuvres qui me sont données d’exécuter sont d’un simplisme à couper le souffle, que ce soit au moment de la prise de vue ou de la manipulation par ordinateur.
EG : Au Québec, Alain Paiement, Roberto Pellegrinuzzi, Raymonde April, Jocelyne Alloucherie, Geneviève Cadieux, Angela Grauerholz etc. t’ont précédé comme photographes qui comptent à une époque où le médium photo prenait toute sa place dans le champ de l’art.
NB : Je ne me vois pas faire mieux, mieux que quoi, que qui?
Tu ne parles strictement qu’en termes de diffusion, ou de ventes, je laisse ce soin à d’autres, à toi si tu en as envie. Je ne vois pas de raison de forcer les choses, le bonheur ne se trouve certainement pas là. Aussi, pourquoi toujours ce besoin maladif de se comparer?
EG : Quelle est la nature de ton engagement?
NB : Il est d’ordre poétique. Je crois qu’avec le temps et l’expérience, la poésie peut atteindre l’altruisme.
EG : Peut-on considérer que ta démarche artistique ne constitue qu’un éternel et lancinant autoportrait d’un jeune blanc d’Amérique du Nord?
NB : Pourquoi pas, tous les symptômes y sont réunis.
Cela dit je ne photographie que rarement des lieux où j’habite. Il y a donc un autoportrait dans la mesure où je prends des photos dans des lieux ou sur des sites où je me trouve. Jeune? À quel âge ne le sommes-nous plus? Et puis, il n’y a presque pas d’humain dans mes images, et quand il y en a, ils sont de moins en moins identifiables. On peut mettre des tags sur tout, et ça restera l’avis de celui ou de ceux qui les cautionnent. Une façon de faire à l’américaine? Les lieux parlent, c’est évident, mais de quels lieux parle-t-on? Des planchers de salles de bains, des ruelles enneigées, des garages scrapés, des sites abandonnés, des chambres de jeune homme, des cuisines d’artistes, des ateliers de menuiserie, des forêts, un bois en clair/obscur, un lac agité, une bibliothèque pêle-mêle, le lieu d’une fleur qui se meure, celui d’un couple qui s’effeuille sur une planète qu’ils se sont inventés, d’un cosmos magnifié, d’une montagne frigorifiée, d’un ciel habité, d’un chat qui se cache pour mourir, d’une vaisselle qui s’est faite, d’un son qui endort et qui te perd, de vases communicants etc. Est-ce particulièrement occidental ? S’il faut étiqueter alors étiquetez ! Je vous laisse le soin, il n’y a plus de séparateurs dans mes tiroirs…
EG : Que penses-tu des grands projets d’art public, les « 1% » 1, comme celui à grande échelle que tu as produit pour le Pavillon intégré Génie, informatique et arts visuels du Campus Sir George Williams de l’Université Concordia 2?
NB : Il faut faire attention. Il y a des risques bien concrets dans un projet d’envergure. Les contraintes sont nombreuses et multiples, et je ne parle pas seulement des impératifs techniques et des coercitions économiques, je parle surtout du fardeau social, de la pression et de la subordination qui vient de l’idée même du travail en collectif (et différents corps de métier parfois hétérogènes) et de la commande initiale (qui impose relations aux responsables du lieu, aux usagers, aux autres publics dans un cadre durable et sécuritaire). Ce n’est pas vrai qu’on va montrer ce qu’on veut. Ce n’est pas vrai non plus qu’on va travailler seul et tranquille. Il faut savoir que le comportement d’un artiste n’est pas ce qu’il y a de plus grégaire. Je suis en apprentissage. Pendant ce temps, les avocats font leurs frais.
EG : Existe-t-il un risque pour les photographes qu’avec la démocratisation des appareils numériques et la prolifération des prises de vue automatiques, la valeur de l’image diminue?
NB : Pas tant que l’image est habitée. Je m’attelle au non-photographiable et cherche l’outil adéquat pour y parvenir. M’intéresse l’invisible à l’œil nu. Observation, cadrage, traitement sont les mamelles de mon travail. Le regard que je porte sur le monde a plus à voir avec les origines de la photographie (le micro, le macro, atteindre/représenter les planètes, l’invisible et ses chimères, etc.) qu’avec les bidouilleurs les plus contemporains. Ce qu’il y a de chouette avec la numérisation, c’est que l’idée même du travail est évacuée grâce à son immédiateté. S’ensuit une réelle conscientisation : il y a eu un rapprochement tangible avec l’exercice même de l’observation, une fusion entre le concept et la pratique, quelque chose de plus direct, de plus pur.
EG : Tu sais que la plupart de tes photos se retrouvent chez des collectionneurs privés et en partie dans ces faux lofts et condominiums qui fleurissent actuellement à Montréal. Ex-édifices industriels ou manufacturiers revampés, là même où des artistes-artisans-créateurs-travailleurs culturels œuvraient préalablement, subitement évincés et fragilisés devant ces développements immobiliers sans vergogne… Le nouveau slogan municipal de « Montréal, métropole culturelle internationale », les nouvelles Politique culturelle et Politique du patrimoine de la Ville n’empêchent pas ce phénomène de gentrification galopante.
NB : Il n’y a pas d’argent propre. Ni de fumée sans feu.
EG : Que réponds-tu aux gens qui prétendent que tu fais n’importe quoi, n’importe quand et comme ça vient ?
NB : Encore là, ils ont raison. Je ne vois pas le problème de laisser libre cours à mes envies et à mon imagination. Je ne suis pas un mathématicien. Il n’y a rien d’exhaustif dans mon travail, je me promène toujours de pièce en pièce comme on joue à saute-mouton. Ça ne m’intéresse pas de retravailler un genre ou un modèle jusqu’à sa finitude. Je préfère laisser aller. J’ai aussi choisi ce métier parce que c’en est un de liberté. Une liberté bien emprisonnante, celle de s’exhiber, de se mettre à nu donc d’être face à soi-même. Je n’ai pas vraiment de plan, de piste, de programme. Je n’en veux pas. Je n’ai pas envie de me dresser un pan bien droit, bien haut, avec des briques bien ordonnées, bien séquencées. Je ne veux pas de mortier (avec trop de textes explicatifs et de prémisses indéchiffrables) dans mes constructions. Je préfère faire dans l’accumulation, l’amas, où l’ensemble est édifié par enchevêtrements, d’un équilibre précaire, par juxtapositions hasardeuses : un embâcle, un petit barrage naturel en retrait, un village qui s’est fait avec le temps, sans plan d’urbanisme, et qui n’a l’air de rien, mais qui a ce qu’il faut.
EG : Comment expliquer le passage de ton monde intérieur (du travail et du domestique) des dernières années aux images de nature sur lesquelles tu t’exerces actuellement ? -1- L’épuisement des images-sources ; -2- L’appel du grand air ; -3- La volonté d’illustrer les « grands espaces canadiens » ; -4- Un financement de Parcs Canada?
NB : C’est la même chose, la même quête, je ne vois pas de différence. Je ne fais que travailler sur le terrain de la poésie (qui est vaste). Je n’ai fait que bouger l’axe de la caméra, je suis resté planté au même endroit. Dans cet exercice d’observation continuel, le temps se met de la partie, c’est le rapport au réel qui importe. Je n’ai pas l’impression de refaire le même « tableau », mais plutôt le même boulot, avec ses variantes. La charge émotive que je perçois d’un site, d’un emplacement, d’un fatras d’objets, d’un éclairage particulier, ce qui parle tout bas et pour personne. C’est ce qui me tient à cœur.
EG : Puisque tu as débuté avec un succès précoce en terme de vente comme peintre en tant qu’étudiant (exposition à la Galerie VAV, Université Concordia), puis poursuivi par la photographie plasticienne et manipulée/numérique en tant qu’artiste professionnel, achèveras-tu ta carrière comme senior avec un nouvel art de la plasticine ou bien encore le retour du tricot?
NB : Peu importe, je me vois très bien retourner à la peinture, faire des sculptures avec des cartons d’allumettes, jouer dans la terre glaise… Rien n’est écrit.
EG : As-tu menti durant cette entrevue?
NB : Oui, mais c’est toi qui le dis !
1- La Politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement des bâtiments et
des sites gouvernementaux et publics (Québec)
2- une de ses collaborations avec le Cabinet Braun-Brauën