Du pluriel, le voilà passé au singulier. Pour son quatrième solo chez René Blouin, Nicolas Baier crée entre autres l’œuvre Vanité (2012), une évolution logique aux Vanités de 2010, où se juxtaposaient des miroirs surannés, réfléchissant l’absence de lumière. Fidèle à la devise de l’artiste : « où que l’œil se pose, tout n’est que vanité », la nouvelle œuvre quitte les strates de la matière mémoire pour sonder les affres de la solitude contemporaine. Celui qui par la photo scrutait ces derniers temps les stratifications géologiques du sol, fait jaillir ici une œuvre sculpturale, mais toujours minérale – puisque composée de nickel –, pour donner corps à un environnement familier où la brillance plastique renforce la portée idéologique. L’artiste, qui se demandait en l’an 2000 s’il était encore possible de proposer des images, vient de se répondre à lui-même. Car Vanité, par sa facture chirurgicale, transforme l’espace de travail actuel – un bureau, une chaise, un ordinateur, deux écrans, des haut-parleurs et un numériseur reproduits à l’identique, mais entièrement coulés dans le nickel – en un polaroïd glaçant de tout ce que notre époque a de symptomatique : l’isolement de l’homme, la virtualité de son environnement, les possibles. Par une astuce subtile, le verre sans tain qui emboîte la pièce ne reflète pas ce qu’il y a à l’intérieur. Ainsi, le visiteur n’est-il jamais reflété par la surface. L’objet scintille en son écrin tel un objet de luxe, une voiture de collection, un bijou rare. Dans son coffret « claustrophobisant », la pièce trône et suscite le désir, mais l’objet est stérile. Et l’homme, un figurant disparu. De son propre aveu, la pièce est pour l’artiste « un cercueil refermé ». En arrière-plan, une photographie intitulée Canevas renvoie à la préhistoire.
Appliquée au mur, la pièce présente en photomontage une caverne géante. On pense à Platon. Le contraste entre la matière fondamentale, originelle, incarnée dans cette paroi rocheuse et le monde virtuel actuel, enfermé à son tour dans un retour au minéral – par l’enveloppement de nickel – est en effet poignant, parce que terriblement final. Les visiteurs tournent autour d’une cage vide, comme au zoo des hommes éteints, se regardant eux-mêmes dans cette représentation de leur absence.
Cette cellule de travail individuel apparaît déjà comme une image du passé. De la civilisation qui aura été. Poussière de millénaire. Poussière de météorite. Avec ses incursions géologiques, Baier poursuit son exploration de l’érosion (Photo) et de la matérialisation originelle Étoile (noire). Mais c’est Vanité, en mante religieuse de l’homme moderne, qui fracasse notre perception du monde. L’apparition de cette œuvre, qui aura tôt fait de séduire un grand musée, marque un jour important pour l’art contemporain. Un point dans le temps. Dans l’immensité du temps…