Pour parler de rien

Nicolas Baier, 2003

Il y a déjà longtemps que j’invente des prétextes à toutes les situations qui se présentent dans mon travail, qu’elles soient signifiantes ou sans conséquence. Chaque action résulte de très petites réflexions inutiles qui viennent proposer des solutions à des problèmes picturaux très peu épineux. J’ai cette drôle d’impression que mon travail est hautement facultatif, voire parasitaire. C’est plutôt un constat qu’une impression, et ça devient de plus en plus une aspiration.

Je n’arrive plus à entrer en contact avec la réalité, avec ce qui est concret. Les stimulus sont ambigus, le décodage est laborieux. Je me sens parfois étranger, de plus en plus éloigné du « sentir ».

Toucher, c’est l’ultime rencontre des sentiments, l’expérimentation en 3-D du temps qui reste, le relief de l’autre et de sa réalité, de son enveloppe pour ce qu’elle contient, pour ce qui en émane. Toucher c’est être vivant : « Pinces-moi que je vérifie ! »  Le toucher seul répare les sévices qu’il a causés.

La moindre obligation, la plus petite responsabilité, tous mes projets en chantier, les piles de dettes accumulées, ma mauvaise foi proverbiale et mes ridicules colères, le ménage qui se fera ou pas, le besoin que j’ai de mes amis, le boulot et son lot de vieilles habitudes, tout s’entremêle dans un fatras incompréhensible. Je ne vois clair qu’en repensant au passé. Il n’y a pas de prise sur le monde, rien ne se laisse prendre tel quel, tout glisse, s’enfuit, et se transforme à son approche. Les choses sont en plan dans les airs.

Le plus important c’est de ne rien faire, travailler fort à ne rien faire. J’ai un ami qui faisait des siestes avant d’aller se coucher…Le travail est un leurre, un mirage qui nous fait croire qu’il y a quelque chose qui en vaut la peine, que la vie sert à quelque chose : en fait, rien n’est utile à rien. Il n’y a que simulacres par-dessus mensonges.

Visiblement il m’arrivera encore de peiner à l’ouvrage, mais ce sera avec le cœur gros. Si je suis encore apte à me lever de mon sommeil pour fabriquer et triturer les images, ce sera en usant de la plus grande paresse envisageable, avec minutie.

Je ferai tout le plus cheap possible.

Chez moi, chez toi et tout autour c’est l‘éparpillement, un amas bigarré et dense de choses avec ou sans valeur ! Tout s’amoncelle. Je vois les objets qui nous entourent comme une atomisation d’un tout mystérieux dont le sens m’échappe. Le temps que je prends à penser à des photos sur mon bordel je ne l’utilise pas pour faire le ménage qui me permettrait de songer à d’autres sujets. Alors, vaut mieux se recoucher, plus rien, ni ménage ni photos ! Qu’est-ce que je sais de la vie sinon qu’elle passe ? Et avec elle les gens aimés ? Les chemins sont tortueux, accidentés, et il n’y a pas souvent de secouristes. Il y en a qui proclament que tout est non pas à l’intérieur, mais tout autour.

Ce qu’il y a de moins beau dans le réveil c’est qu’on ne dort plus.